Repérer les pressions pour mieux agir : l’approche ORION
Identifier où la rivière souffre pour choisir les bonnes actions
ORION est un projet transfrontalier (France–Wallonie–Vlaanderen) qui a pour but de diagnostiquer l’état des rivières et des plans d’eau du bassin de la Meuse et de prédire leur évolution pour agir au bon endroit, au bon moment.
Les chercheurs suivent trois familles de signaux : chimiques (polluants), microbiologiques (virus, parasites et résistance aux antibiotiques), écotoxicologiques (réponses du vivant), le tout dans un contexte de réchauffement climatique. Concrètement, le projet cherche à identifier les contraintes (on parle de “pressions”) qui s’exercent sur les eaux, la manière dont les organismes y réagissent, et ce que cela implique pour la baignade, la biodiversité et la gestion de la ressource.
Quelles avancées pour ORION depuis 6 mois ?
Durant le premier semestre 2025, sous la coordination de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), les six opérateurs (universités, laboratoires et instituts techniques) ont échangé notamment sur l'élaboration de protocoles communs garantissant la complémentarité des essais et garantissant leur valeur scientifique.
Le but des premiers mois du projet était non seulement de s'accorder sur les protocoles d'intérêt, mais également sur les sites à étudier. Dans ce cadre, les équipes du laboratoire PeGire (ULiège) ont rassemblé les informations nécessaires pour construire des cartes de pressions qui montrent où et quand la rivière est la plus susceptible d’être impactée.
Parmi les différentes pressions chimiques du bassin de la Meuse, les PFAS, surnommés « polluants éternels » en raison de leur grande persistance et de leur résistance à la dégradation naturelle, sont largement retrouvés. Ils font donc l’objet de l’attention des chercheurs du projet. Pour répondre à cette problématique, l’ISSeP a validé une méthode d’analyse de ces substances dans les eaux de surface et l’étendra pour ce projet à des espèces sentinelles (des “capteurs vivants”, particulièrement sensibles à ces molécules ou susceptibles de les emmagasiner). Objectif : comparer ce qu’on mesure dans l’eau à une éventuelle accumulation dans les organismes. C’est une étape clé de l’évaluation des risques écotoxicologiques : ce lien entre l’eau et le vivant est indispensable pour évaluer les dangers et décider où agir en priorité.
Le projet s’intéresse également à deux autres familles de molécules. Tout d’abord les HAP, des molécules composées d’un maillage d’atomes de carbone, produites lors de combustions incomplètes, car faiblement oxygénées (chauffage domestique, gaz d’échappement des moteurs thermiques, activités industrielles, etc.) Telles quelles, elles ne sont pas nocives, mais lorsque le foie cherche à s’en débarrasser, à les métaboliser, les composés produits s'avèrent cancérigènes. Tout comme une bille de verre inoffensive qui, une fois brisée, voit ses morceaux devenir redoutablement tranchants. Les autres molécules étudiées sont les phtalates qu’on ajoute aux plastiques pour leur apporter de la flexibilité. Ils sont présents dans une grande quantité d'objets souples du quotidien et malheureusement leur liaison avec le plastique est fragile, ils se retrouvent par conséquent largement diffusés dans les milieux aquatiques. Et s’ils sont certes biodégradables, c’est un processus qui est favorisé par la présence d’oxygène : une fois dans l’eau, leur persistance devient problématique. Les phtalates sont classés comme perturbateurs endocriniens : ils sont capables de gêner la bonne marche des messages hormonaux internes du vivant, notamment ceux liés à la reproduction (on parle alors de reprotoxicité).
Pour savoir si l’eau contient des éléments capables de perturber le vivant, plusieurs outils sont utilisés :
- Des tests biologiques de dépistage : des levures génétiquement modifiées sont placées dans des échantillons d'eau après des périodes de pluie intense. Si elles changent de couleur, c'est la preuve d’une activité hormonale anormale dans l’eau qui mérite davantage d’investigation ;
- Les animaux du milieu sont des témoins de premier plan, certains absorbent les substances chimiques et ne sont pas capables de les éliminer efficacement de leur organisme. Les HAP et les phtalates ont notamment une affinité avec les graisses, elles s’y fixent aisément et persistent dans les tissus vivants. Résultat : le vivant accumule progressivement ces substances, c’est le phénomène de bioaccumulation. Analyser les organes et le sang permet de relier les concentrations de polluants dans l’eau à leur présence dans les organismes aquatiques ;
- La mesure de la vitellogénine (ou VTG) chez les poissons est un biomarqueur, soit une réponse biologique spécifique, sa surveillance permet la détection précoce de perturbation endocrinienne. Cette protéine, normalement produite par les femelles pour le transport des lipides nécessaires à la formation des œufs, peut – par exemple – apparaître anormalement chez les mâles après exposition à des substances hormonales présentes dans le milieu ;
- La motilité spermatique, soit l'aisance de déplacement des spermatozoïdes, est également évaluée. Même dans des conditions normales, une proportion non négligeable de ces cellules reproductrices est défectueuse et leur locomotion est diminuée, ce qui n’a rien d’étonnant vu l'immense quantité de cellules produites. Les perturbateurs endocriniens peuvent – entre autres influences – augmenter la fréquence d’apparition de ces cellules défectueuses et ainsi nuire à la reproduction ;
- Un autre biomarqueur à mesurer, immunologique celui-ci, est la phagocytose. Il s'agit du processus par lequel certaines cellules vivantes sont capables d’engloutir et de dégrader des particules étrangères (bactéries, débris cellulaires, etc.) En laboratoire, on met des cellules immunitaires au contact d’éléments étrangers (ici, de minuscules billes de latex) pour jauger leur réactivité et leur efficacité à les ingérer. Cela permet de révéler l’impact sur la réponse immunitaire, soit l’immunotoxicité, des substances présentes dans l’environnement.
✨ L’approche ORION c'est
- Identifier/Voir : combiner chimie, microbiologie et écotoxicologie, multiplier les approches pour obtenir une image fiable des pressions subies et des vulnérabilités des masses d’eaux.
- Comprendre : utiliser la modélisation prédictive pour anticiper l’effet des rejets, des événements météo et du climat sur les rivières. Comme les prévisions météo : il s’agit d’observer le comportement d’un système pour le reproduire artificiellement en le simplifiant (soit en faire un modèle dynamique) pour tenter de prédire son comportement futur.
- Agir : tester des scénarios (“que se passe-t-il si… ?”) pour aider gestionnaires et décideurs à choisir les mesures les plus efficaces.
Concrètement, à quoi sert ORION ?
- Anticiper les risques pour la potabilisation de l’eau : si ORION n’est pas directement impliqué dans la distribution d’eau potable, l'étude que le projet mène sur les pressions subies par les rivières permet d'outiller les gestionnaires et prévenir les situations à risque avant les captages et les traitements.
- Assurer la qualité de l’eau de baignade : en recoupant chimie, microbiologie et réponse du vivant, le projet aide à focaliser la surveillance sur les sites de baignade sensibles pendant les périodes d’utilisations (estivales nottament).
- Préserver la biodiversité : les épisodes de chaleur, de sécheresse ou de crue, liés au climat modifient l’habitat des espèces aquatiques. Les jeux de données et les essais biologiques d’ORION permettent de quantifier ces effets localement pour mieux cibler les mesures à prendre.
En bref
Ce premier semestre a posé un socle robuste mêlant gouvernance opérationnelle, aboutissement des méthodes analytiques, premiers jeux de données structurants, essais écotoxicologiques aboutis et mobilisation du public. C’est la base d’un diagnostic intégré qui concerne à la fois les gestionnaires, les scientifiques et les citoyens.
L’eau, l’affaire de tous
Le projet ORION a été mis à l’honneur au Printemps des Sciences à Namur (mars 2025), en présence des autorités régionales, puis aux Assises Rhénanes de l’Eau à Strasbourg, où le projet a été cité comme bonne pratique transfrontalière. Deux expositions — Sentinelles en eaux troubles et Qu’arrive-t-il à la rivière de Gammarus ? — ont accueilli plus de 500 visiteurs à l’UNamur.
En ensuite ?
Cet automne 2025 marquera le lancement de la phase de prospection des sites d’encagement, une étape clé de préparation des campagnes de terrain qui auront lieu à partir du printemps 2026. Ces visites permettront de repérer et valider les sites retenus, d’évaluer leur accessibilité et les conditions hydrologiques, et de préparer la mise en place des dispositifs d’encagement pour les espèces sentinelles.✨ Qui fait quoi ?
ORION réunit des universités, des laboratoires publics, des agences et des gestionnaires des eaux, côté français, wallon et flamand. Cette alliance permet de croiser données de terrain, essais en laboratoire et outils de modélisation pour produire des résultats comparables des deux côtés de la frontière.
- Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) : coordination générale et écotoxicologie aquatique (pilotage de la gouvernance, essais et biosurveillance).
- Université de Liège – Laboratoire PeGire : données, cartes de pressions et cartes pressions-impacts pour la Meuse et ses affluents.
- Institut scientifique de service public (ISSeP) : métrologie PFAS (eaux superficielles), caractérisation chimique et adaptation aux biotes, tests YES/YAS et VTG.
- Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) : essais écotoxicologiques et biomarqueurs en conditions contrôlées et de terrain, modélisation sur le biote.
- Université de Namur – Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive (URBE) : écophysiologie et écotoxicologie des poissons – Confluent des Savoirs (CDS) : diffusion et vulgarisation du projet.
- ACTALIA : bactériologie, virologie & parasitologie (dans les eaux et chez une espèce sentinelle).
FAQ
Qu’est-ce que la bioaccumulation ? C’est le processus par lequel un être vivant va stocker une substance chimique, comme un polluant, dans les tissus de son organisme. Cela signifie que l’être vivant ne parvient à l’éliminer efficacement. La conséquence est une concentration croissante de la substance dans l’organisme par rapport à son environnement, ce qui peut devenir toxique avec le temps. La bioaccumulation se fait via l’environnement et l’alimentation.
Qu’est-ce qu’un biomarqueur ? Un biomarqueur est un indice biologique mesurable (par exemple une protéine ou une hormone) présent l'organisme (sang, mucus, tissu…). Le taux mesuré fonctionne comme un signal d’alarme qui permet de prioriser les analyses ou les mesures à prendre avant que la toxicité n’ait des conséquences plus importantes et irréversibles.
Que sont les PFAS ? Il s’agit de molécules artificielles créées pour leur résistance et leur capacité à repousser non seulement l’eau, mais aussi les graisses. PFAS est l’acronyme de : « substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées ». Ces molécules ressemblent à des allumettes : une chaîne de carbones plus ou moins longue, partiellement ou complètement recouverte d’atomes de fluor, au bout de cette chaîne on trouve une tête qui peut avoir différentes propriétés. Il est très difficile de détruire les PFAS, puisqu’ils ont été conçus pour leur résistance : les liaisons carbone-fluor étant parmi les plus solides qui soient.
Que sont les HAP ? C’est l’acronyme des Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques, des molécules qui se forment après une combustion incomplète, c’est-à-dire dans un milieu pauvre en oxygène. On les retrouve dans les fumées, les suies, le gaz d’échappement, le barbecue, etc. Certains sont reconnus cancérigènes, et c’est à cause d’eux qu'il est déconseillé de consommer les morceaux de nourriture carbonisée par leur cuisson.
Que sont les phtalates ? Ce sont des molécules synthétiques ajoutées à la fabrication du plastique pour le rendre souple et flexible : ce sont des plastifiants. Ils sont omniprésents autour de nous : rideaux de douche, revêtement de sol, emballages, produits de beauté, vernis à ongles, etc. L’ennui est qu’ils ne sont pas liés chimiquement avec le plastique et peuvent donc s’échapper facilement avec le temps. Certains sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens.
C'est quoi un risque écotoxicologique ? C’est la probabilité que des organismes vivants subissent des effets néfastes à la suite de leur exposition à un polluant issu des activités humaines. Elle dépend à la fois de la quantité de substance présente dans l’environnement et de la sensibilité des organismes exposés.